02 juillet 2006

One day in Paris


(Dessin par Arthur Novak)

La journée a mal commencé. Arrivant à la gare, en avance naturellement, j'étais sur le point de me rendre sur le quai lorsque j'ai entendu prononcer mon prénom avec insistance. Une collègue. Merde. Évidemment, elle prenait le même train que moi. Évidemment, elle n'avait pas encore pris son billet et il y avait la queue au guichet. Toutefois, la bonne fortune semble toujours récompenser les insouciants, et nous n'avons pas raté le train. J'ai dû cependant subir sa conversation pendant tout le trajet, constatant avec horreur que les piles de mon truc à mettre-de-la-musique-dans-les-oreilles étaient à plat. Évidemment. Donc à la place de jolies notes et de belles voix, j'ai écouté des "Il fait chaud, hein ?" (certes), des "Je connais mes niveaux pour l'année prochaine, tu veux que je te dise ?" (faut pas te sentir obligée), ou encore des "Tu n'étais pas au pot de fin d'année hier soir, comment ça se fait ?" (faut pas déconner, j'ai une réputation à entretenir, moi). J'avoue qu'à l'approche de Paris, j'ai opté pour l'option fuite, prétextant une urgence naturelle pour rejoindre le wagon le plus éloigné que j'ai pu atteindre. M'en fous, elle est mutée, la collègue, et je ne la reverrai jamais.
Une fois sur le quai, j'ai levé les yeux à la recherche de mon baby-sitter pour la journée, qui lui avait oublié de baisser les yeux. Nous sommes tout de même parvenus à nous retrouver à mi-hauteur, et je l'ai laissé m'emmener où il voulait. S'ensuit l'épreuve transport en commun sous la terre, où l'atmosphère est bien sûr plus étouffante, probablement moins à cause de la plus grande proximité du magma que de la densité humaine. Avec la mansuétude qui le caractérise, mon guide a écourté le voyage dans les tunnels pour me permettre de retrouver aussi rapidement que possible l'air pur parisien. Une fois sorti de l'enfer souterrain, on a presque l'impression qu'il fait frais…
En évitant très subtilement l'échoppe Gibert "Droit – Économie – Gestion", nous nous sommes installés à la terrasse ombragée d'un café, légèrement en retrait des émanations tant gazeuses que sonores de pots d'échappement, et pour un peu, on se serait cru à la campagne (euh… non, quand même, pour beaucoup). Après avoir commandé de quoi nous sustenter et nous réhydrater, nous avons pu commencer sérieusement la séance de babillage. Rires, souvenirs, confidences, bonnes et mauvaises langues, un peu de tout et surtout très agréable. Ainsi, j'ai appris deux ou trois trucs qui me permettraient de le faire chanter (n'hésitez pas à me contacter si vous voulez savoir ce qu'il y a caché sous son armoire, je suis corruptible). Nous avons dit beaucoup de mal des rares personnes que nous connaissons tous deux (hin hin…). Nous avons discuté philosophie à propos du shérif de l'espace en écoutant distraitement de jeunes baladins et des chantres de Hare Krishna. Nous avons également souligné fort pertinemment qu'il faisait chaud. Trop chaud pour travailler, en effet, d'où une remise à plus tard des sujets [ð] durs/doux et [i] court versus [i:] long.
Néanmoins, puisqu'une journée sans s'instruire laisse tout de même un arrière-goût d'inachevé, j'ai tenté de lui apprendre à faire des compliments. Car si le jeune homme est doué pour grand nombre de choses, l'hypocrisie n'est pas son fort. Et, ô joie, l'élève a acquis les bases avec une rapidité confondante : de retour d'une séance d'élimination, phase qui suit logiquement celle d'hydratation, il me dit, avec son sourire le plus délicieux : "Je t'ai regardée à travers la lucarne des toilettes ; tu avais le regard dans le vague, et tu étais magnifique"… Cet homme a bien raison, lorsqu'il écrit "aux chiottes le romantisme". D'ailleurs, j'ai quitté sa compagnie peu de temps après dans le seul but de le retrouver (mais je n'ai vu que le ciel par la lucarne des toilettes, celle-ci se situant à un niveau bien trop supérieur au mien).
Mais, trop tôt, il a fallu reprendre le chemin des galeries souterraines, prendre congé et se promettre de se revoir bientôt, pour me faire de nouveau avaler par le monstre bruyant qui devait me ramener dans mon pays. C'est avec la tête emplie de belles images et le cœur guilleret que j'ai trouvé porte close en arrivant en bas de mon immeuble, pour cause de nouvelle panne du digicode associée à l'absence de clé magique sur mon porte-clés pourtant fourni. Une journée qui commence mal doit-elle finir mal, quel que soit le plaisir entre deux ? Eh bien non : le plus gentil voisin du monde m'a non seulement ouvert, mais a également vérifié chacune de mes clés (il m'arrive trop souvent de passer à côté de l'évident, ce n'était donc pas inutile) et promis de me faire un double de sa clé magique à lui pour m'éviter de déranger par interphone interposé les bonnes gens à des heures indues. Et j'ai retrouvé mon lit en me disant que l'humain peut être fort charmant, quand il s'y met.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Coeur guilleret,

Ta prose me fait traverser de longs stratocirrus de sucre ainsi que de petits cumulus ouatés aux reflets cuivrés.

Bisous

Peewee Peeper a dit…

Fais attention à ne pas t'étouffer avec toute cette guimauve...
Bisous too