Je n'arrive pas à me décider : mes chats sont-ils profondément crétins ou formidablement intelligents ? Se planter au milieu de la cuisine en couinant peut en effet être considéré comme une technique de chasse très efficace, puisque, neuf fois sur dix, il y a dans le coin un humain suffisamment stupide pour croire que la bête est affamée (depuis le temps, l'humain ne fait plus vraiment attention au ventre rebondi qui menace de toucher le sol). Et comme il fait un peu chaud en ce moment (vous avez remarqué ?), la stratégie devient plus retorse : s'affaler au milieu de la pièce en faisant semblant de couiner pour convaincre l'humain de son état d'épuisement total, et attendre que l'assiette atterrisse délicatement sous le museau.
De plus, le chat fait ainsi montre d'une grande générosité envers l'humain : ce dernier doit s'entraîner au saut-de-chat-putain-le-con-qu'est-ce-qu'il-fout-là, ce qui lui permet d'entretenir sa forme physique (avec certes quelques risques de chutes douloureuses, le but étant d'éviter le chat par tous les moyens, au péril de sa propre vie). Mais est-ce bien de la générosité, ou bien plutôt une nouvelle manifestation de l'ingéniosité féline ? L'humain ne doit-il pas être en bonne forme physique pour bien servir le chat ?
D'un autre côté, ces tigres de salon sont également capables de demander à sortir par une porte (alors que l'autre juste à côté est ouverte) mais de refuser de sortir pour que l'humain ouvre la porte ou la fenêtre à l'autre bout de la pièce, des fois que la température - ou la pluie, la neige… selon les saisons - serait plus clémente à quelques mètres près. Mais est-ce vraiment un problème de neurones déficients ? L'humain, attendri par les grands yeux larmoyants, obéit et ouvre les portes/fenêtres selon le bon vouloir du félin (pour l'occasion, le nom de celui-ci devient souvent Mékilékon). Or, être capable de soumettre l'humain à sa volonté, n'est-ce pas là la preuve d'un esprit supérieur ?
On peut également s'interroger sur les motivations du chat lors du brossage matinal de dents humaines. En effet, la papatte essaie d'attraper le filet d'eau qui coule du robinet, et ça ne marche pas, ce qui agace profondément le chat. En plus, ça mouille, donc on secoue la papatte. Crétinerie ? Pas sûr ! Cela permet à l'humain de se laver la figure en même temps (le chat est donc vraiment généreux) et de lui faire comprendre qu'il doit cesser toute activité pour s'occuper du chat (là, le nom de celui-ci devient plus arménien et s'agrémente du suffixe "-téchian"). C'est également l'occasion pour le chat d'exprimer sa nature artistique en promenant ses papattes mouillées sur le lavabo blanc, ce qui en outre renforce la domination féline sur l'humain qui doit nettoyer.
Je crois que Douglas Adams s'est trompé, ce ne sont pas les souris qu'il faut craindre, mais les chats et leur volonté d'asservir l'humanité. D'ailleurs, je me dépêche de finir d'écrire ce post passionnant, car je sais que d'ici quelques minutes, l'un d'entre eux va inévitablement se rendre compte que je ne m'occupe pas de lui et va me le faire comprendre. L'un se contentera de s'installer sur le clavier, la papatte sur la souris, pour me ramener dans le droit chemin. L'autre, moins patient, commencera par utiliser le pouvoir des grands yeux, et si je tente de l'ignorer, il me plantera ses griffes dans la cuisse en couinant… Aïe ! C'est bon, j'arrive…